Certains de mes élèves me demandent mon avis sur telle ou telle activité corporelle : « j’ai envie de faire du yoga, des arts martiaux, de la danse, de la course…est ce que c’est bien pour moi ? ». En quoi la Méthode Feldenkrais dispenserait-elle de sport ? Développer toutes sortes de schémas de mouvement et de coordination est source de plaisir, maintient la souplesse du cerveau et développe notre faculté d’adaptation. Peut- être connaissez vous la vidéo qui circule sur le net « Never leave the playground » ?
Encore faut il savoir ce que l’on fait pendant qu’on le fait.
Mouvement versus mouvement
Rappelons en premier lieu que l’enjeu de chaque leçon de la Méthode Feldenkrais™ est de développer la conscience de soi afin de déterminer par nous-mêmes ce qui est bon pour nous au lieu de suivre nécessairement le chemin tracé par les autres. Alors, d’où vient cette question ? Peut être d’un manque de clarté quant à l’intention même. Il s’agit premièrement de déterminer quelle motivation, quelle recherche et quels critères mènent une personne à pratiquer telle ou telle activité sportive. Deuxièmement, s’il s’agit de garder le critère de qualité dans le mouvement recherché en « Prise de conscience par le mouvement » en le transférant à ces autres activités corporelles, alors force est d’admettre que la route promet d’être semée d’embuches. Le transfert soulèvera lui aussi beaucoup de questions.
Les enjeux, déconvenues et défis
Il y a un double enjeu à pratiquer d’autres activités physiques hors de la sphère de la méthode Feldenkrais. Le premier consiste à continuer à cultiver la capacité sensori-motrice de faire des différences subtiles en sachant l’adapter aux particularités et contraintes de l’activité. Il s’agira également d’être en mesure de bien analyser les contraintes qui sont misent en jeu dans cette nouvelle sphère. Faire coïncider deux processus demande du temps, surtout à la lumière du deuxième défi qui vous attend. Celui qui consiste à dépasser le découragement et cultiver l’autonomie, malgré la qualité médiocre, voire carrément inexistante des outils pédagogiques utilisés dans la plupart des cours. Ne pas baisser les bras et parfois oser « désobéir » pour ne pas se blesser. Où sont les protocoles différenciés, variés et transversaux qui prennent en compte la diversité des aptitudes des élèves ? Peut-être dans le milieu du sport de haut niveau, mais rarement dans le milieu scolaire et encore moins dans la majorité des cours grands publics, toutes activités corporelles confondues. Mais cette question dépasse notre sujet d’aujourd’hui. N’est-ce pas tout le paradigme de l’enseignement tel qu’il existe actuellement qui est en jeu ici ? S’intéresser au processus, au comment, au fait d’apprendre à apprendre ?
Sortir des fantasmes
La sphère des pratiques corporelles distille du fantasme pour répondre à la concurrence. L’imagerie dans laquelle nous baignons est aussi subtile que celle issue d’un dessin animé des studios Wall Disney. Choisissez entre devenir fort, puissant et sexy ou baigner dans un océan de bien être dans la position du lotus. Ou encore, envisager les activités corporelles comme le lieu où l’on va se défouler, se dépenser avant de retourner à nos activités plus sérieuses. Bref, remettre sur le tapis la bonne vieille dualité entre le corps et l’esprit. Donc, à quels fantasmes répondons-nous souvent en nous engageant dans telle ou telle activité ?
Toute pratique a ses dogmes et critères d’exigence. Mais faisons-nous bien la part des choses ? Pensez-vous réellement que pratiquer le Taï Chi ou l’Aïkido vous permettra de vous défendre dans un combat de rue ? Que le yoga fera de vous un sage? Que soulevez du poids signifie prendre soin de soi ? Que faire de la danse est forcément bon pour le corps ? Entre ce que dit la « réclame » et ce que recèle la réalité, entre ce qu’on voudrait apprendre et ce qui est vraiment enseigné, faisons-nous vraiment la différence ? N’est ce pas cela que la Méthode Feldenkrais enseigne avant tout ? C’est-à-dire aiguiser une plus grande conscience de ce que nous faisons, transposer les habilités développées sur le tapis en mouvement à toutes sortes de mouvements, rester attentif et créatif, faire preuve de jugement et de discernement quant à nos choix ?
Bref
Se jeter de manière frénétique dans une myriade d’activités en espérant la réponse à tous vos désirs, cela est infantile. S’essayer à différentes pratiques en préservant notre intégrité, notre subtilité sensorimotriceGestion par le système nerveux central des interaction entre les phénomènes sensoriels (intéroceptifs et extéroceptif) et l'activité motrice. , notre jugement, notre identité et surtout en ayant bien défini au préalable ce que nous cherchons, tout cela est sûrement à encourager. Il demeure que sauter, c’est aussi accepter de tomber. Et si l’on choisit de faire du sport à haut niveau, on sait que le but visé n’est plus alors la santé ou le bien être.
Ce que nous enseignons à nous-mêmes et à nos élèves est le processus interne inhérent à la prise de choix. Car une fois la porte du cours fermé, c’est là que l’aventure commence, n’est ce pas ?
Cet article est dédié à Elie Edme, chercheur infatigable, car il m’a été inspiré par nos longues conversations et ses encouragements à explorer des mouvements plus défiants.