Ce mois-ci j’ai eu envie de publier la retranscription d’une interview de moi faite par Elie Edme, chercheur et pédagogue autodidacte dans le domaine des arts du corps et de l’adaptation au sens large. Si aujourd’hui je serai plus précise, je suis surtout heureuse de sentir que ma flamme brule toujours aussi vive, et que oui la Méthode Feldenkrais enrichie ma vie et celle de mes élèves. Donc, un regard en arrière quand je viens de fêter mes 48 ans pour mesurer le chemin parcouru et célébrer la joie de découvrir chaque jour l’ inattendu.
Marta Havlicek est une praticienne Feldenkrais dont la grande expérience dans les arts du mouvement en font une perle rare de la sphère des pratiques corporelles. Après avoir participé à l’un de ses cours, riche et profond, je lui ai proposé un interview. Rencontre…
Comment en es-tu arrivée à la Méthode Feldenkrais?
La première fois que j’ai entendu le nom de Feldenkrais, c’était chez Peter Goss, et on faisait un échauffement inspiré de Feldenkrais. On nous disait « sentez » et je me disais « je ne sens rien » (rires)… Et le nom m’était resté dans la tête. J’étais dans une recherche, je continuai la danse, dans ma vie ce n’était pas toujours très simple alors je recherchais comment me sortir de mes problèmes, etc…et puis je tombe, alors que j’étais libraire à la fnac, sur un livre, « Energie et bien-être par le mouvement », qui n’était pas du tout destiné à mon bac. Je le met de côté, je le feuillette, je l’emprunte, je l’achète et puis je le lis. Ça m’intéressait beaucoup…J’essaye de reproduire chez moi quelques-uns des mouvements proposés dans le livre…Impossible. Mais intellectuellement ça me titillait, alors je décide d’aller voir un cours à Accord Mobile avec Myriam Pfeiffer. J’ai fait deux cours à la suite, et je suis resté assise sur mon tapis en me disant « putain, putain, putain »… Il y avait un truc, quelque chose de très intelligent. Au-delà même du bien-être que cela m’avait procuré, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de très puissant dans cette méthode pédagogique. J’ai donc suivi des cours pendant deux ans, deux fois par semaine. C’était en 2004. Puis ma passion grandissant, j’ai voulu faire la formation complète. A la suite de cette formation, j’ai commencé à enseigner en 2011.
Qu’est-ce que la Méthode Feldenkraïs?
C’est une pédagogie qui s’intéresse aux conditions de l’apprentissage et au cadre qui nous donne l’opportunité de sortir de nos habitudes. Elle procède sous forme de questionnement et t’oblige à rentrer dans ton propre processus sans que tu aies besoin de demander quoi faire et comment le faire. Une des grandes préoccupation de Moshe Feldenkrais (créateur de la méthode), c’était de sortir des comportements compulsifs, et de développer ainsi l’être dans sa totalité. Moshe voulait créer un apprentissage qui révèle davantage qui on est vraiment, au-delà de nos conditionnements, même si ceux-ci sont nécessaires et qu’il ne s’agit pas de les condamner. Car on finit tous par agir de manière conditionner vis-à-vis de notre environnement et pas toujours de la meilleure des façons. Quand on regarde l’histoire ça n’a pas toujours donné des résultats constructifs… D’où la question: comment un être humain en arrive à s’auto-détruire et à tant détruire les autres?
Comment cette pédagogie se retranscrit-elle dans la pratique?
C’est une pédagogie qui passe par le mouvement. Et qu’est-ce qui fait que le corps bouge, c’est le cerveau. Lors de ses recherches, Moshe Fledenkrais s’est aperçu que tout acte est supporté par une intention. Agir implique ainsi nécessairement le mouvement, la sensation, l’émotion et la pensée, et e a déduit que le mouvement était la voie royale pour s’adresser au cerveau et notamment au système nerveux central. Il s’est donc beaucoup intéressé au développement psychomoteur de l’enfant et à la neurophysiologie. Physicien de formation, il était également pratiquant de jujutsu, avait rencontré Jigoro Kano et créé la première association française de jujutsu avant la guerre.
Quel type de personne se retrouve dans tes cours?
La méthode Feldenkrais permet de mieux se connaître et de mieux agir, en s’ouvrant à de nouvelles possibilités. On peut donc venir aux cours pour des raisons très différentes: après un accident pour favoriser la réhabilitation du corps, en tant que musicien pour améliorer son jeu, en tant que pratiquant d’arts martiaux pour améliorer ta pratique, ou simplement parce que tu as envie d’être mieux dans ton corps, de mieux chanter, de mieux danser, de mieux faire ce que tu as à faire. La méthode développe une sensibilité transversale à toutes les activités de la vie quotidienne qui implique le mouvement. Les champs d’applications sont donc infinies, je n’en vois actuellement pas la fin.
Que fait-on dans les cours?
La méthode Feldenkrais est une approche extrêmement variée du mouvement. Dans les cours collectifs, on fait ce qu’on appelle les PCM (prise de conscience par le mouvement) grâce auxquelles on utilise le mouvement avec attention, fondement de l’apprentissage. Dans les cours particuliers, on fait l’IF (intégration fonctionnelle), et là deux systèmes nerveux doivent dialoguer (celui de la personne qui suit le cours et celui du praticien), par l’intermédiaire du toucher. Les mêmes principes sont utilisés dans les PCM et l’IF. On se sert donc de l’immense boite à outils que Moshe nous a transmis, et qui regroupe un nombre très variés de séquences d’exploration du mouvement. Ensuite il y a des modules qui permettent de balayer certaines fonctions et d’aborder le mouvement par thème: la marche, la position assise, utiliser la voix, etc…
Quels sont les principes pédagogiques sur lesquelles reposes la méthode?
La méthode repose d’abord sur la lenteur, car si l’on va trop vite on fait ce que l’on connaît déjà, et il est donc impossible de sortir de nos conditionnements. Ensuite, elle repose sur la diminution de l’effort, c’est la loi Weber-Fechner. On cherche à aller vers la représentation du mouvement qui existe avant tout mouvement, et d’atteindre ainsi l’organisation de départ qui va générer notre mouvement. On utilise donc moins de force pour sentir plus. Ensuite les variations sont très importantes. On va ainsi chercher différentes manières de faire la même chose. Ensuite, il y a le principe de différentiation. Si tu bouges toujours tout en bloc tu vas avoir tendance à reproduire ce schéma. Ainsi, selon la manière dont on va porter notre attention sur le mouvement, nous allons bouger différemment. Et finalement, en créant des contraintes, le mouvement va se déplacer ailleurs, va émerger d’endroit différent qu’il ne le fait d’habitude.
Pour conclure?
C’est une méthode parmi d’autres, ce n’est pas la voie unique de la vérité et elle s’accommode avec nos autres pratiques, quel qu’elles soient. On prend ainsi les éléments qu’elle propose pour faire ce que l’on a à faire. Elle est donc très intelligente car elle nous engage dans un processus de questionnement et à ne pas prendre pour acquis nos habitudes. La méthode Feldenkrais nous aide ainsi à mieux trouver ce qui fait notre identité, notre humanité et notre place dans le monde. L’idée n’est pas non plus de tout remettre en question mais d’être lucide, de ressentir nos conditionnements pour nous aider à mieux nous en défaire. Évidemment ça ne nous empêchera pas parfois d’avoir mal au dos ou au genou, de se sentir triste ou en colère… mais c’est une aide précieuse pour rester moins figé dans nos habitudes et enrichir les nuances de notre ressenti.