De la pleine conscience en action

En flânant au rayon sciences humaines d’une grande librairie, j’ai constaté le succès grandissant du concept de la pleine conscience, ainsi que la diversité des domaines où il est maintenant utilisé avec enthousiasme : la santé, l’éducation, l’entreprise etc.

Après avoir feuilleté des ouvrages de Christophe André et de Mathieu Ricard, mon travail avec les enfants m’a poussé à acheté finalement  Calme et attentif comme une grenouille. La métaphore utilisée dans ce titre m’a rappelée une sensation qui me traverse souvent pendant les leçons de Prise de conscience par le mouvement. En effet, mon attention m’apparaît alors comme un petit animal à l’intérieur de mon esprit, qui, posé, tranquille, est pourtant prêt à s’engager dans une action décisive et instantanée. A vrai dire, si je pense plus à un renard qu’à une grenouille, c’est sans doute lié à mon enfance et à mes racines tchèques et l’opéra La petite renarde rusée de Leoš Janáček. L’envie de rapprocher la Pleine conscience et la Méthode Feldenkrais c’est de nouveau manifestée à la lecture d’un article nommé Mindful movement and skilled attention, publié in Frontiers in Human Neuroscience par Dav. Cark, Frank Schumann et Stewart H. Mostofsky *. Je vous livre ici quelques-unes de mes réflexions issues de ce rapprochement.

En ce qui concerne les deux pratiques, on désigne à la fois le processus mental et la qualité de la conscience émergente. Durant une méditation de Pleine Conscience et plus particulièrement dans la méditation d’attention focalisée, il est nécessaire de soutenir son attention intentionnellement. On constate que cette pratique permet de réduire l’anxiété, la dépression et l’impulsivité. On dit qu’elle a une corrélation positive avec les échelles d’émotions positives, d’où sont impact sur la santé et le bien-être général de la personne. En anglais le nom donné aux leçons de la Méthode Feldenkrais est « Awareness through movement ». Il n’existe pas de terme équivalent à « Awareness » en langue française . Je le définirais ici comme une attention qui balaye des éléments de notre environnement, appartenant à la fois au vécu interne de notre corps et au monde extérieur. Or, du fait qu’en pratiquant la méthode Feldenkrais, nous sommes en mouvement, ce type d’attention est de fait lié aux informations issues des sensations kinesthésiques. Si on y ajoute la lenteur, la sensation de non-effort,liée à une coordination optimum, l’intégration des parties tant corporelles que psychiques en un tout fonctionnel et le sentiment de plaisir,  on obtient alors un processus d’une grande porté transformatrice.

Le résultat est le développement de  la capacité de différencier de plus en plus subtilement les informations issues de la boucle sensori-motrice* afin de réajuster ces informations par rapport aux exigences de la tâche, tout en détectant les émotions et les pensées qui s’y rattachent. Autrement dit, nous sommes  au sein d’une tâche perceptive et motrice et nous y cultivons la capacité de faire des distinctions et des choix, tout en en sachant que cette tâche est toujours évolutive,  parce que en mouvement. Une des finalités de ce processus est de faire émerger une nouvelle qualité de conscience et d’action. Sentir simultanément nos processus d’attention et les prémices de l’action nous fournit l’occasion de nous connaître « en création ».

Serais-je, comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir ? Plus sérieusement, je pense que la pratique du mouvement conscient génère aussi des conditions propices à l’engagement de la pleine conscience. En permettant  de transférer les apprentissages à la vie quotidienne, elle développe une attitude de plus grande présence à nous et aux autres.

Personnellement, cette pratique me permet parfois de visiter  un autre champ de conscience, que je qualifierais de transe légère. A ce moment, il ne s’agit plus du mouvement comme tel, ni de la conscience de moi en train d’agir, de penser et de sentir qui importe. Je deviens tout cela à la fois, dans un état où la frontière perceptive entre l’intérieur et l’extérieur du corps s’estompe.

Construite selon une pensée scientifique, la Méthode Feldenkrais est cependant difficile à définir et à classer dans une catégorie. Elle opère dans un champ transversal des expériences humaines et aussi de sortie du champ de l’expérience ; elle se refuse à donner des réponses universelles. Moshe Feldenkrais aimait, par exemple, parfois affirmer une chose et son contraire. La rhétorique du questionnement est utilisée afin de ne pas induire de réponses toutes faites, laissant l’élève découvrir ce qui fait sens pour lui dans l’expérience. En cela, elle fait également partie des enseignements auxquels se rattache  la Pleine Conscience,  qui aiment répondre aux questions des élèves par des métaphores ou encore d’autres questions.

Je conclurais en disant que, si on ne doit pas confondre l’être et le faire, agir quand on est en communication profonde avec notre être est une manière d’exister qui conduit à se sentir d’avantage unifié, vivant et humble aussi. Je suis donc heureuse du succès grandissant de ces deux belles pratiques que sont la Pleine Conscience et la méthode Feldenkrais. Je rêve d’ailleurs de terrains de partage et d’expériences communes où elles pourraient se donner la main au service d’un monde meilleur, en nous aidant à mieux nous connaître.

* La sensorialité renvoie à la prise d’informations et à leur acheminement vers le système nerveux central (cerveau, moelle épinière).
La motricité renvoie à la commande nerveuse qui conduit à la contraction musculaire.
La sensorimotricité est l’interaction des fonctions nerveuses et musculaires.

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